Alexandra
« J’entends encore son cœur qui bat, allongée sur cet étroit lit dans un coin de la pièce des urgences à la maternité, mon époux à mes côtés, et
puis en quelques secondes le néant, « vous ne pouvez le garder, le col est trop ouvert, on ne peut rien faire, on vous emmène dans une autre salle … » Je ne réalise pas, je vais me réveiller, je laisse le film se dérouler, les pleurs de mon mari sont la seule réponse entendue … je ne suis plus qu’un automate …
Quelques heures auparavant, « les urgences ? J’ai des saignements et je suis enceinte de presque 5 mois que dois-je faire ? » - « Ne vous inquiétez Madame attendez une heure voir s’ils s’arrêtent et rappelez-nous ! » Comme si tout va redevenir « normal » dans une heure ! Me dis-je !… Le temps s’écoule lentement péniblement angoissant, et les pensées qui ne cessent de traverser l’esprit …
Une infirmière s’approche et me dit qu’elle va préparer la péridurale … elle n’a jamais pu s’exécuter … le bébé est sorti seul et l’infirmière l’a vite emmené ! Je reste là, toujours stoïque comme hypnotisée paralysée par les événements … Elle revient, me demande si je veux « la » voir … une petite fille … et si je n’ai pas peur car la couleur de la peau n’est pas rosée à ce stade de la grossesse et ensuite ce que je veux « qu’on » en fasse …
Au creux de mes bras ce petit tout petit être brunâtre à l’aspect d’un bébé à terme, je la caresse, je n’ai pas de larmes toujours dans cet état irréel, mon mari n’a pas voulu la voir, trop mal, trop de souffrance et ne pas la connaître pour lui c’est se protéger, ainsi pas d’images qui viendront hanter le reste de sa vie tel est son choix …
On me transporte au bloc opératoire pour un curetage en m’indiquant que j’aurais la possibilité de la revoir un peu plus tard … j’entends je vois je ne réalise toujours pas …
Me voilà dans une chambre, une personne, une femme dont je ne me rappelle plus de sa fonction vint et les premiers mots qui encore aujourd’hui résonnent et probablement qui m’ont sauvée et aidée à poursuivre mon chemin ont été : « vous n’y êtes pour rien, Madame et en rien vous êtes coupable de ce qui est arrivé » … Ces paroles m’ont suivies et me suivent encore aujourd’hui car elles ont été aidantes dans ma traversée du deuil.
Quelques minutes plus tard, accompagnée par ma maman, mon papa n’ayant eu la force de venir est resté avec mon mari, j’ai revu « Alexandra » pour un dernier au revoir … Me reste son souvenir, quelques photos et une empreinte de pieds. C’était notre troisième fécondation in-vitro … février 2005 …
Le retour à la maison la même journée s’est déroulé en mode automatique dans le silence, le temps s’était arrêté, la vie continuait autour de nous, de moi … Je me rappelle bien de la première sortie « … se changer les idées … » le parking, l’escalator et à mi-chemin mon regard croise celle d’une femme enceinte … d’une poussette … je n’ai vu qu’elle et je me suis laissée allée dans un torrent de larmes, cette vision ce choc la réalité qui claque, je n’ai pu continuer et suis retournée à la maison.
Les jours qui suivirent plongée dans la peinture, coloriage, concentrer mon esprit sur autre chose et fuir cette réalité qui de toute manière nous rattrape inévitablement à un moment ou à un autre. J’ai eu la chance, oui, de pouvoir en parler avec une femme ayant vécu une perte d’enfant, puis deux puis … et me rendre compte du soulagement que cela procure de ne pas se savoir seule, d’être écoutée et comprise, d’être soutenue même l’espace d’une brève rencontre … la douleur, la colère, la tristesse, la solitude peut importe l’ordre, il faut traverser ces étapes le temps aide, cependant n’efface rien. Beaucoup de colère contre mon médecin qui après une hémorragie en tout début de grossesse m’avait remise trop tôt en activité et n’avait pas pris les précautions de contrôle du col et ce malgré les mises en garde de mon médecin spécialiste en fécondation … encore aujourd’hui quand j’y pense j’ai l’estomac qui se noue et j’ai aussi appris à pardonner.
Je n’ai pas suivi de thérapie pour faire mon deuil, et trois semaines après la perte du bébé j’étais de retour au travail, reprendre une activité, reprendre un pseudo-goût à la vie … et pour moi, ce qui m’a porté était l’espoir et la croyance au plus profond de moi que j’aurais un enfant, alors et peut-être ou certainement préciseront les médecins, que mon désir d’effectuer une nouvelle tentative rapidement n’était judicieux sans avoir vraiment fait le deuil de ce bébé … j’ai fait comme je le sentais à tort ou à raison qu’importe, ça me permettait d’envisager un avenir … en aucun cas l’enfant ou les enfants qui viendront ne pourront remplacer l’amour et l’enfant qu’était Alexandra.
Le plus pénible a été de voir ma jeune sœur enceinte en même temps, je suivais sa grossesse de loin, de très loin et jusqu’à l’arrivée de son garçon je n’ai pu la voir … Moment d’émotions entre la joie de découvrir mon neveu et la tristesse de ne découvrir ma fille …
Lors de ma huitième fécondation, quasi deux ans après, je suis restée alitée tout le long, oui longs les heures, les jours, les semaines et les mois qui me séparaient de la première étape celle d’arriver à la 26 semaines où un enfant est viable s’il naît à ce moment et ensuite chaque minute est un gain sur la vie … et mes jumelles sont venues au monde à la 32ème semaines … et je n’ai pu les voir que le jour suivant étant admises aux soins intensifs … J’ai attendu toute la nuit que les infirmières m’apportent quelques clichés de mes bébés comme elles me l’avaient annoncé or faute de temps l’inconnu, le questionnement, les peurs et mon mari partit avec elles dans un autre bâtiment n’a pu venir me donner de leurs nouvelles qu’au petit matin …
Longtemps, les personnes m’ont posée la question n’est-ce pas trop de travail, trop difficile d’en avoir deux d’un coup ! A chacun son monde, car lorsqu’on a passé par l’impensable et le parcours effectué durant quatre ans, en avoir deux ne peut être que du pur bonheur et non du travail !
Le temps passe … dix ans déjà … « on oublie pas, on vit avec … et on finit par s’apercevoir parfois du « cadeau » que nous a fait notre petit ange … pour ma part, une présence qui me rend forte qui m’accompagne qui me montre le chemin … celui aujourd’hui d’aider d’autres parents qui vivent ou qui ont vécu la perte d’un bébé.
Merci à toi Alexandra, nous t’aimons à l’infini