Alexandre et Sébastien
Le médecin nous avait recommandé d’attendre une année après la césarienne avant d’essayer de remettre un bébé en route. Alors en janvier
2010, deux jours avant le premier anniversaire de Camille j’ai pris ma dernière pilule contraceptive. Quelques jours plus tard, j’ai des saignements mais rien qui ressemble à des règles en bonne et due forme. Finalement plus d’un mois après, j’ai mes premières règles et lorsque les suivantes ne débarquent pas, je fais un test de grossesse et saute de joie, car il est positif !!! Je prends donc un rendez-vous chez ma nouvelle gynécologue la Doctoresse Natividad Tamarit, et selon mes dernières règles je devrais en être à 9 semaines d’aménorrhée. Quelle ne fut pas ma surprise, lorsqu’elle effectue l’ultrason vaginal usuel à ce stade de la grossesse et qu’elle me dit « désolée, je ne vois rien… ». Heureusement elle a très vite ajouté « il faut que nous fassions une échographie abdominale… car apparemment le bébé est plus grand que prévu… ». Là, très vite, elle repère le bébé qui a en fait la taille d’un bébé de 12 semaines et non de 9 !!! Jusque là ça va, j’étais déjà enceinte lorsque j’ai eu mes règles, rien de grave. Mais lorsqu’elle continue et me dit « en fait, il n’est pas tout seul… ils sont deux !!!». Alors là, c’est le choc !!! A vrai dire, j’hésite entre joie et « tristesse », en tous les cas plein de questions se précipitent dans ma tête… « comment faire pour en gérer deux de plus ? je voulais deux enfants et non trois… et par rapport à Camille, nous souhaitions qu’elle ait la chance d’avoir une petite sœur ou un petit frère… et on entend souvent dire que les jumeaux sont liés comme les doigts d’une main et qu’ils peuvent faire « bloc » dans la fratrie… alors Camille risque quand même de se retrouver « seule »… ». Et la cerise sur le gâteau ou plutôt le noyau dans l’engrenage, la gynéco me dit au milieu de mes interrogations en tout genre, que c’est une grossesse gémellaire difficile, car monochoriale biamniotique, les bébés sont dans le même placenta mais chacun dans une poche et il y a 30% de risques de développer le syndrome transfuseur-transfusé (STT), ce qui va nécessiter des contrôles échographiques tous les 15 jours et qu’en plus un des bébés a un problème, il a une mégavessie. A ce moment-là, je ne mesure pas l’ampleur des soucis qui nous attendent. Elle nous prend donc un rendez-vous à Lausanne chez une gynécologue spécialiste en imagerie fœtale le lendemain à midi. Je ressors de son cabinet dans un état second, ne sachant pas si je dois et peux me réjouir, et que penser de tout ça. Je regrette tellement que mon mari soit pas là, avec moi.
Mardi 11 mai peu avant midi, nous arrivons donc au centre d’imagerie fœtale au Flon à Lausanne ne sachant pas encore quelle douche froide allait nous tomber dessus quelques instants plus tard. Nous sommes reçus par la Doctoresse Nathalie Beurret-Lepori qui très rapidement va comprendre la situation et les enjeux de cette grossesse spéciale. Elle prend le temps de nous expliquer tout cela de façon très claire, professionnelle et en nous laissant aussi de longs moments pour nous permettre d’avaler toutes les informations qu’elle nous donne. Elle nous explique les risques si le syndrome transfuseur-transfusé est détecté pendant la grossesse, et nous dit aussi que le bébé qui a une malformation au niveau du système urinaire, ne survivra très certainement pas à la naissance, car sa mégavessie risque fortement d’entraver le développement de ses reins, voire même de ses poumons. Elle nous dit qu’il nous faudra digérer tout ça, réfléchir aux différentes options qui nous sont proposées et qu’elle reste à notre disposition si nous avons des questions. Nous ressortons de son cabinet totalement hébétés, sachant déjà que la mort allait côtoyer de très près la vie et que nous aurions certainement des décisions difficiles à prendre. Le lendemain matin, je rappelle le centre et malgré son emploi du temps surchargé à la veille de jours fériés, elle réussit à prendre un moment pour nous recevoir et répondre à toutes nos interrogations.
Deux semaines plus tard, elle effectue une amniocentèse afin d’écarter tout risque de problème génétique majeur. A ce niveau-là, tout va bien. Puis, les semaines passent, nos bébés continuent de bien grandir et tous les quinze jours, nous ressortons soulagés que le syndrome transfuseur-transfusé n’ait pas été détecté. Début juillet, lors de l’échographie, la Doctoresse voit que la vessie du bébé s’est fissurée, mais ses reins sont en mauvais état, donc son pronostic vital pour la naissance reste très compromis. Fin juillet, pour cause de vacances, elle transfère notre dossier à un de ses confrères au CHUV. Nous y rencontrons le Docteur Yvan Vial qui, lors d’un de nos contrôles bimensuel au mois d’août, nous dit que les reins de notre bébé ont l’air d’avoir bien récupéré et que la vessie a gardé une taille normale depuis qu’elle s’est fissurée quelques semaines auparavant. Il nous dit alors que le pronostic vital pour la naissance de ce bébé est meilleur, même s’il reste de nombreuses incertitudes, et qu’il devra très probablement subir une ou plusieurs interventions chirurgicales. Fin août, en prévention d’un accouchement prématuré, je suis hospitalisée deux jours pour faire une maturation pulmonaire des bébés.
Le 22 septembre, à 32 semaines d’aménorrhée, le contrôle échographique montre que nos bébés ont bien grandi, leur poids est estimé à environ 2kg chacun, aucun signe du STT, bref tout va bien. Encore quelques semaines à les garder bien au chaud pour éviter des problèmes liés à la prématurité et nous aurons bientôt la chance de les serrer dans nos bras. Deux jours plus tard, vendredi en fin de journée, mon ventre est bien tendu. Peut-être les premières contractions ?!? Au début, je ne m’inquiète pas trop. Mais le dimanche 26, la tension monte peu à peu, d’autant plus que j’ai l’impression de ne plus sentir mes bébés bouger. Je téléphone alors à la sage-femme qui nous avait suivis pour la grossesse de notre fille et lui explique la situation. Elle me donne quelques conseils et tests à faire qui n’ont pas l’effet escompté, alors, lorsque mon mari la rappelle, elle lui dit de téléphoner au CHUV pour aller faire une échographie et nous rassurer. Nous nous rendons donc à la maternité et nous sommes pris en charge par une sage-femme, très douce et très attentive à nos explications, qui effectue un monitoring en attendant qu’une doctoresse fasse une échographie. Elle trouve et entend le cœur d’un des bébés, mais pas le deuxième. Là, je ne réalise pas encore l’importance de ce silence. Lorsque la doctoresse, une assistante, arrive, elle regarde l’écran et elle nous dit « je suis désolée, le cœur du bébé qui avait une malformation ne bat plus… Il faut que ma responsable, la Drs Jacot-Guillarmod confirme…». Alors là, mon esprit percute enfin et j’ai l’impression que la moitié du plancher s’effondre sous mes pieds. Même si je m'étais préparée moralement pendant presque la moitié de la grossesse à ne pas le voir rentrer avec nous à la maison, la nouvelle fut difficile à encaisser. Le médecin, qui nous suivait habituellement et était de garde téléphonique ce soir-là, a dit qu'il y avait trop d'arguments en défaveur d'un accouchement d'urgence pour essayer de « sauver » le bébé encore en vie et qu'il était préférable de le « garder encore au chaud » le plus longtemps possible tout en surveillant très attentivement et plus fréquemment son développement pendant les semaines à venir. Il nous a donné rendez-vous le lendemain à midi pour nous expliquer la suite et refaire une écho. Le lundi 27, le Dr Vial nous apprend, en faisant preuve de beaucoup d’empathie, que le 2e bébé n'a pas survécu à la mort de son jumeau. Non, je n’y crois pas ! Ce n’est pas possible ! Pas les deux !!! Il y avait 20 à 30 % de risques que ça se passe ainsi, et si nous avions fait un accouchement d'urgence le soir d'avant, il est plus que probable que ce bébé ait souffert d'un manque d'oxygénation du cerveau au moment du décès de son frère et en garde de lourdes séquelles qui n'auraient pu être découvertes que plusieurs semaines plus tard, après qu'il eut peut-être surmonté les difficultés liées à sa grande prématurité. Le Dr Vial nous laisse le temps d’encaisser le choc, puis nous dit que j’ai le choix d’un accouchement par voie basse ou par césarienne, et aussi du moment qui serait « bon » pour nous. Il n’y avait plus d’urgence et il était important pour nous de digérer ces deux mauvaises nouvelles. Finalement, après une nuit épouvantable, j’ai appelé le docteur pour lui demander d’avancer le rendez-vous qui avait initialement été fixé au mercredi 29.
Le mardi 28 septembre 2010, en milieu d’après-midi, Alexandre et Sébastien sont nés sans vie par césarienne, car pour moi, à ce moment-là, un accouchement par voie basse était totalement inconcevable, surtout que je n’avais pas pu le vivre pour Camille. Un peu plus tard, alors que j’étais en salle de réveil, la sage-femme, Nathalie Bruggeman, qui nous avait accompagnés et soutenus avec gentillesse une grande partie de cette journée cauchemardesque et une de ses collègues nous ont apportés dans un petit berceau nos deux bébés. Elles les avaient préparés en respectant nos vœux, emmitouflés chacun dans une petite cape blanche avec capuche, car nous n’avions pas envie de les voir en pyjama ou habillés. Elles avaient aussi pris quelques photos et fait des empreintes de leurs pieds. Nous avons ainsi pu rester seuls un moment avec eux, leur parler, les toucher, leur dire tout ce que nous aurions aimé qu’ils entendent et surtout leur souhaiter un bon voyage vers leur nouvelle demeure puisqu’ils ne rentreraient pas à la maison avec nous.
Un mois après, le 28 octobre, nous avons fait une petite cérémonie et enterrés les cendres d’Alexandre et Sébastien dans une forêt près de chez nous en présence de nos parents et de quelques amis proches. Il était important pour nous d’être entourés et soutenus, que notre deuil et notre tristesse soient reconnus, et que les personnes présentes physiquement ou en pensée avec nous ce jour-là soient ainsi témoins de l’existence, aussi courte fut-elle, de nos jumeaux.