Arthur
Ce témoignage, transcrit par Claire-Lise Genoud, est paru dans le journal FEMINA du 28 avril 2013
Maryline a perdu son deuxième enfant, né prématurément, le jour où elle-même quittait les soins intensifs. Avec pudeur, elle raconte son calvaire, sa révolte et la difficulté de se reconstruire.
Arthur est né par césarienne le 8 juillet 2009, trois mois avant terme
Dix jours plus tôt, au moment où je fermais la porte de la maison pour aller travailler, j’ai perdu les eaux, sans aucun signe avant-coureur. J’étais en robe d’été et je me souviens que mes sandales étaient complètement trempées. Après la naissance de notre fils aîné Antoine, j’avais fait deux fausses couches. Je n’ai donc pas hésité longtemps, je suis rentrée me changer et j’ai filé à l’Hôpital de Morges, juste à côté de chez nous.
Verdict: j’avais perdu les eaux, mais pas le bébé. Son cœur fonctionnait parfaitement, mais j’ai vite compris que je n’allais plus pouvoir bouger. On m’a transportée en ambulance à Genève parce qu’il n’y avait pas de place en néonatologie au CHUV à Lausanne. Le terme de ma grossesse était prévu le 18 octobre, le jour de mon mariage civil avec Pierre André, mon mari. Je pensais que c’était bon signe… Tant pis s’il me fallait rester au lit quelques semaines.
Ce voyage en ambulance vers Genève, je l’ai mal vécu
Couchée, je me sentais désorientée, pas du tout à l’aise, loin de ma maison, de ma famille. Par bonheur, je me suis retrouvée dans une chambre aux côtés d’une femme condamnée à être alitée et qui devait, elle aussi, accoucher le 18 octobre. Elle, cependant, avait été héliportée. Nous nous sommes tout de suite bien entendues. Nous parlions maquillage, coiffeur, esthétique, c’est fou comme ce genre de choses prend de l’importance lorsqu’on est immobilisée. Je repensais beaucoup à ma grand-mère lorsqu’elle était dans son EMS. En fait, j’étais comme elle: on me roulait sur un côté pour changer les draps et on me roulait de l’autre…
Et puis un jour ma compagne de chambre a dû endurer une succession de contractions. Les infirmières l’ont emmenée et ne l’ont jamais ramenée. Il a fallu que j’insiste pour avoir de ses nouvelles. On m’a confié qu’elle avait perdu sa fille et qu’elle se reposait avant de rentrer chez elle.A peine un jour plus tard, j’ai soudain ressenti, moi qui résiste pourtant bien à la douleur, une contraction d’une violence anormale. Le médecin a aussitôt opté pour une césarienne. Heureusement, mon mari a pu me rejoindre pour assister à la naissance de notre fils: Arthur. Il ne pesait que 900 grammes, mais il allait «bien». Moi, en revanche, j’ai fait une grave hémorragie dans les heures qui ont suivi. Quand je me suis réveillée avec des perfusions partout, dans le cou, dans les bras – encore aujourd’hui j’en porte les marques – je ne savais plus ni où j’étais ni ce qu’il s’était passé… J’étais si faible, je ne tenais pas sur mes jambes. Les médecins se sont inquiétés et ils ont finalement diagnostiqué une embolie pulmonaire: trois caillots se baladaient dans mes poumons…
Aux soins intensifs, je n’étais plus en état de rien
Et de son côté, Arthur semblait avoir des problèmes de développement. Ses reins fonctionnaient mal. Lorsque j’ai intégré le service des soins continus, j’ai alors demandé à le voir. Et mon mari m’a conduite jusqu’à lui en chaise roulante. Quelle émotion de pouvoir toucher mon fils. Enfin! La nuit qui a suivi nos retrouvailles, tout s’est dramatiquement accéléré. L’infirmier de garde a débarqué dans ma chambre vers 3 ou 4 heures du matin pour me dire qu’Arthur n’allait pas bien du tout. Il était même en train de partir. On m’a mis Arthur dans les bras. Il était tout chaud. Il semblait dormir… Mon mari a débarqué peu après, nous étions enfin réunis tous les trois.
Par la suite, Pierre André m’a confié que mon fils et moi, nous avions joué avec la vie. On aurait dit qu’Arthur avait attendu que je m’en sorte pour oser s’en aller. Dès le matin, les infirmières ont insisté pour que je voie un psychiatre, mais j’ai refusé tout net. Pas à Genève! Je n’avais qu’une obsession: quitter cet hôpital et ne plus jamais y revenir. C’était un vendredi, plus précisément le 17 juillet 2009, j’ai dû attendre le lundi pour être rapatriée à l’Hôpital de Morges. Malgré la dureté de tout ce que je traversais, j’ai été contente d’apprendre que les pompes funèbres avaient aussi emporté mon fils ce jour-là: nous étions peut-être au même moment sur l’autoroute.
Arthur a eu droit à un cercueil blanc fait sur mesure
Il était si petit. Quelle injustice! J’ai été autorisée à quitter l’hôpital pour être présente à son enterrement le 27 juillet. Reste – et cela peut paraître fou – que les épreuves n’étaient pas encore terminées. Dans la voiture en rentrant du cimetière, je me suis mise à hurler: une douleur aiguë, terrible, me déchirait le ventre. Retour aux urgences: après m’avoir administré de la morphine, les médecins m’ont fait subir un scanner qui a révélé un énorme hématome sous la cicatrice de ma césarienne. Mon calvaire continuait, il aura duré cinq interminables semaines. Les plus longues de ma vie.
J’ai pu quitter l’hôpital le 4 août mais à une condition, que je consulte un psy. J’ai fini par accepter, contre mon gré. Je ne m’y suis rendue que deux fois. Ce n’était pas une bonne idée. Le contact n’a pas passé. En fait, j’avais besoin de digérer ce qui m’était arrivé. C’était trop difficile. Autre coup du sort: aussi surprenant que cela puisse paraître, même si je n’avais pas ramené mon bébé à la maison, j’étais officiellement en congé maternité. Cela a encore avivé mes souffrances. J’ai fini par démissionner de mon travail. Je suis encore révoltée par tout ce que j’ai dû vivre: le regard des gens ou plutôt le non-regard. On ne parle pas à une femme qui rentre de l’hôpital sans son bébé. On l’ignore, on l’évite, on la fuit. C’est insupportable.
Pour repartir dans la vie, Maryline a trouvé l’écoute et le soutien qu’il lui fallait auprès de l’association AGAPA.